Les 26 et 27 novembre 2020, l’Université Bordeaux Montaigne et l’Université de Bordeaux organisent le colloque international « L’indiscipline des humanités médicales« . Initialement prévu du 18 au 20 mars 2020, l’événement se déroulera en ligne pour cette formule automnale. L’e-colloque mettra plus particulièrement l’accent sur deux nouvelles propositions : la médecine narrative et la méditation.

Retrouver le programme du colloque.

Argument

Depuis le décret de loi de mars 1992, les facultés de médecine françaises se sont vues encouragées à développer un enseignement des humanités médicales. Dans un mouvement parallèle à l’essor d’une médecine centrée sur le patient qui replaçait le malade au centre de la relation soignant-soigné, il s’est agi de repenser l’enseignement des métiers du soin afin d’équilibrer l’excès de technicité ou de pression économique parfois mal ressentis par les futurs acteurs. Différentes initiatives ont été mises en place selon les facultés de médecine, depuis l’introduction à partir de 1995 de disciplines relevant des Sciences Humaines et Sociales (SHS) jusqu’à l’enseignement obligatoire, en 2013, de la médecine narrative à l’université Paris-Descartes en quatrième année, ou la mise en place d’un DU « Méditation, gestion du stress et relation de soin » proposé à la rentrée 2017 à l’université Pierre et Marie Curie.

La diversité des offres en SHS a pu rendre difficile l’analyse synthétique et critique de l’enseignement des humanités médicales, la liberté laissée aux facultés permettant d’explorer un panel large de nouvelles options. C’est pourquoi une récente enquête menée, sous la direction de Céline Lefève, par l’université de Paris et dans le cadre du programme interdisciplinaire « La Personne en médecine », entre 2016 et 2018 – A. Zimmer, F. Thoreau, C. Lefève, Les humanités médicales. L’engagement des sciences humaines, Doin, 2020– a tenté de dresser un état des lieux de ces enseignements tout au long du cursus de la formation des médecins afin de recenser les formes et innovations pédagogiques tant sur le plan du contenu que de sa mise en œuvre. Ce document de synthèse constitue un bilan critique essentiel à partir duquel il semble intéressant de réinvestir cette question, afin d’évaluer à nouveaux frais les enjeux qu’elle revêt. Quelle place les Humanités occupent-elles dans l’enseignement de la médecine en France et à l’étranger ? Quelles évolutions peut-on voir se dessiner quant à l’accueil des équipes pédagogiques, quant aux disciplines retenues, quant à la réception des étudiants ? Un tel bilan ne risque-t-il pas de susciter un mouvement de normalisation ?

En effet, comme le soulignent Isabelle Richard, Jean-Paul Saint-André et Abraham Flexner dans Comment nos médecins sont-ils formés « très peu de cursus proposent une concordance aussi étroite entre études et métier avec en outre une situation de monopole dans la production d’une catégorie de professionnels » (2012 : 11). La place des humanités médicales dans l’enseignement de la médecine porte une double fonction qui relève de la formation à un « devenir médecin » (Gérard Danou) mais encore du développement d’une « attitude critique » (Michel Foucault) quant à l’enseignement d’une formation professionnelle. Il s’agit donc pour les humanités médicales « d’explore(r) des contextes, des expériences et des questions critiques et conceptuelles de la médecine et des soins de santé, tout en appuyant la formation de l’identité professionnelle » (Thomas Cole, Nathan Carlin et Ronald Carson, 2015 : 17). C’est en quelque sorte, d’un point de vue épistémologique, la remise en question d’un modèle disciplinaire que portent les humanités médicales et qu’il s’agit d’interroger d’un point de vue critique, à la suite des propositions d’Angela Woods et Sarah Artkinson (2006).

Ce colloque tâchera donc de donner une visibilité à des expériences singulières qui ont été menées au niveau national ou international. L’analyse de ce qui est mis en place en Europe, en Amérique du nord apportera une perspective nouvelle et un éclairage critique. De même, il sera intéressant pour les intervenants étrangers d’appréhender cette synthèse comme outil comparatif. Dans un deuxième temps, notre attention se portera plus particulièrement sur deux enseignements qui ont rejoint les humanités médicales depuis peu en France : la méditation et la médecine narrative.

Si, comme nous le précisions précédemment, l’université Pierre et Marie Curie a ouvert récemment un DU « Méditation, gestion du stress et relation de soin », le DU de « Médecine, méditation et neuroscience » préparé à l’université de Strasbourg existe depuis 2013. La méditation a intégré l’université, sur le plan de la recherche et de l’enseignement, avec Jon Kabat-Zinn qui depuis les années 1970 propose au sein de la faculté de médecine du MIT une réflexion et des ateliers sur la réduction du stress par la pratique de la méditation de pleine conscience. La médecine narrative est beaucoup plus jeune dans le champ des humanités médicales puisque Rita Charon a développé cette nouvelle approche de la médecine, Narrative and Evidence based Medicine, au début des années 2000 dans le cadre de la faculté de médecine de Columbia University. La médecine narrative y devient un enseignement sous forme d’atelier en 2006 et en master en 2009. La même année, un projet Médecine narrative est implanté à l’université Lisbonne avec la collaboration de Columbia, du King’s College/Londres et de l’université Paris-Descartes portant sur la recherche, la formation, et la pratique sur le terrain – il a été reconfiguré depuis en Projet en Humanités Médicales[1]. McGill propose à ses étudiants, à cette même période, une exploration pédagogique assez proche avec le « Physicianship program ». L’université Paris-Descartes, sous l’égide de François Goupy, est pionnière en France, en 2013, dans ce domaine.

La méditation et la médecine narrative visent à proposer des techniques relevant des pratiques de soi (Michel Foucault) qui remettent au cœur de la pratique médicale la relation médecin-patient par une attention portée au présent, à l’autre, et par le développement d’un état de pleine conscience. De même, ces deux orientations pédagogiques ont en commun de fonder leur enseignement sur une dimension théorique et un entrainement pratique régulier. Néanmoins, chacune procède de postulats théoriques et de mises en application qui leur sont spécifiques. En outre, sur le plan de la recherche, la MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction) dispose d’une longueur d’avance et travaille à partir de l’imagerie fonctionnelle cérébrale afin de mesurer les effets de la pratique méditative sur la plasticité cérébrale. Ainsi quels atouts la méditation et la médecine narrative peuvent-elles apporter à la médecine ? Si des similitudes semblent se dessiner, quelles singularités ces deux pratiques, méditative et narrative, offrent-elles dans l’enseignement médical ?