Colloque organisé par Alain Schaffner, en collaboration avec Gérard Danou et Eléonore Reverzy, les 15 et 16 septembre 2022 à la Maison de la Recherche de la Sorbonne Nouvelle, 4 rue des Irlandais 75005 Paris.

L’œuvre de Jean Reverzy n’est plus connue aujourd’hui que par quelques titres comme Le Passage (prix Renaudot 1954), et Place des angoisses (1956), qui furent longtemps accessibles dans des collections de poche. Chez celui qui disait avoir embrassé les études de médecine parce qu’il avait lu l’œuvre de Schopenhauer, la pratique médicale et l’écriture sont indissociablement liées : écrivain et médecin, Reverzy est écrivain parce que médecin et médecin parce qu’écrivain. Dire qu’il tient la plume « comme d’autres le scalpel », pour reprendre une célèbre formule de Sainte-Beuve au sujet de l’auteur de Madame Bovary, pourrait le situer dans la lignée d’une littérature réaliste qui s’appuie volontiers sur la littérature médicale comme paradigme méthodologique, discours esthétique et paravent moral. Avec Reverzy, c’est la fiction ou plutôt l’autofiction qui devient médicale, tant c’est en médecin, en spécialiste des corps, du « moi-peau » comme des maux internes, que le narrateur regarde le monde. C’est à la fois dans son regard, attribut du médecin à la sûreté diagnostique dont Balzac a dessiné et fixé le portrait, et dans sa pratique, son geste, son discours que cet ethos médical se fonde. Reverzy s’inscrit ainsi dans la riche lignée des rapports entre littérature et médecine décrite par Jean-Louis Cabanès pour le XIXe siècle et par Gérard Danou pour le XXe siècle, plus précisément dans celle des écrivains-médecins comme Georges Duhamel, Louis-Ferdinand Céline ou nos contemporains Martin Winckler ou Laurent Seksik. Au moment où Reverzy apparaît sur la scène éditoriale, vient d’être publié le livre de François Salières : Ecrivains contre médecins (1948), où le polémiste fustige la mode persistante de l’écriture médicale depuis Les Morticoles, et l’incompétence technique de la plupart des auteurs – en particulier Maxence van der Meersch. C’est dire à quel point l’écrivain-médecin est devenu une figure de la vie littéraire. A une époque où Sartre vient de poser dans Qu’est-ce que la littérature ? les bases de la littérature engagée, une interrogation d’ordre éthique se pose de manière moins fracassante mais tout aussi intense et plus concrète dans l’œuvre de Reverzy à propos de l’exercice de la médecine et de son rôle humain, social et politique. Son écriture désenchantée n’est pas sans évoquer aussi la noirceur précise et sobre de certains textes d’Emmanuel Bove ou de Georges Simenon.

Ces deux journées, organisées à la Sorbonne Nouvelle avec l’appui de l’UMR Thalim et du groupe international de recherche (IRN) de l’InSHS sur les Humanités médicales (irn-medical-humanities.org), cherchent à explorer l’œuvre de Reverzy à partir d’approches nouvelles : d’une part en le situant (par rapport à l’esthétique réaliste et naturaliste d’une part, par rapport à la littérature de son époque d’autre part) d’autre part en tentant de définir la poétique médicale de son œuvre. Si on s’y exprime volontiers à la première personne et si le médecin y fait figure de garant, en quoi une philosophie existentielle s’y détermine-t-elle et s’y communique-t-elle ? Qu’implique la représentation persistante de la « fatigue » du médecin ? Qu’en est-il d’un récit posthume comme Le Silence de Cambridge où Reverzy entreprend d’écrire la grande crise qui affecte son existence à travers le portrait de deux femmes âgées, l’une célibataire, l’autre mariée et immédiatement divorcée ? La question du soin et de l’attention à l’autre, l’accompagnement du patient dans la mort sont aujourd’hui abordés dans la perspective d’une philosophie du care que les récits de Reverzy pourraient conduire à discuter. Enfin, mais la liste n’est pas close, la médiatisation, très importante au moment du prix Renaudot (car Simone de Beauvoir, qui vient d’être couronnée par l’Académie Goncourt pour Les Mandarins, refuse de répondre aux journalistes) et les sociabilités littéraires du temps (Reverzy est découvert par Nadeau, chez Julliard) introduisent aussi ce médecin – qui exerce son métier dans les quartiers ouvriers – dans d’autres cercles, tout en lui conférant une nouvelle autorité dans la vie intellectuelle lyonnaise, très active dans l’après-guerre : c’est toujours en tant que médecin sans doute mais l’écrivain alors, tout à coup exposé à la lumière, l’emporte incontestablement. En termes d’images d’auteur cette brutale exposition mériterait aussi d’être analysée à travers un corpus de presse qui renforce alors délibérément, pour la figer, l’image de l’écrivain-médecin.

Bibliographie sommaire : 

Le Passage, roman, Julliard, 1954 (réédité en Livre de Poche, 1972, et en Points/ Seuil Roman, 1981, 1996,  et aux Editions du Sonneur, en 2014

Place des Angoisses, Julliard, Paris, 1956 ; édition en édition de Poche Point/ Roman Seuil, 1982, avec une préface d’Alain Gerber, et Editions Grand Océan (La Réunion) en 2004 avec une postface de G. Danou

Le Corridor, roman, Julliard, (collection Les lettres Nouvelles), 1958.

Œuvres, Flammarion, Collection Textes, 1977 (Préface de P.O.L et une biographie par Y. Buin) ; édition beaucoup plus complète établie par J-F Reverzy, en collection Flammarion Mille &Une Pages, 2002.

Ecrits autobiographiques (1935-1959) Le Mal du Soir, ed. Actes Sud, préface de J.-F. Reverzy, 1986.

Le Souffle, récit, Actes-Sud, 1994

La Vraie vie, Le Passeur, 1998

Sur Jean Reverzy et son œuvre :

Charles Juliet, Jean Reverzy, Caen, L’Echoppe, 1992

Gérard Danou, Le corps souffrant : littérature et médecine, Seyssel, Champ Vallon, 1994

Frédérique Martin-Scherrer (dir.), Lire Reverzy, Presses Universitaires de Lyon, 1997.

Régis Tettamanzi, La Parole au scalpel. Médecine et littérature chez L.-F. Céline et certains de ses contemporains, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2019.

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Les propositions de communication, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique sont à adresser aux trois destinataires aux adresses suivantes : alain.schaffner@sorbonne-nouvelle.frgerard.danou33@gmail.com et eleonore.reverzy@sorbonne-nouvelle.fr